À travers le cours de l’histoire humaine, les gens ont eu (et perdu) des combats pour des choses qui paraissent triviales. Que ce soit pour un lopin de terre entre deux pays ou pour le deuxième amendement de la constitution américaine, il n’y a pas de limites concernant jusqu’où les gens sont prêts à aller pour défendre un concept abstrait ou un endroit physique auquel ils tiennent.
Il faut admettre que le prépuce n’est pas exactement la même chose que la Cisjordanie ou le droit de porter une arme, mais la question de la circoncision provoque une guerre féroce et fratricide qui dure depuis des décennies. Les tenants et aboutissants du débat sur la circoncision touchent au cœur même des différences culturelles entre la Grande-Bretagne et l’Amérique – deux nations aux approches sensiblement différentes quand on en vient à la façon de traiter les petits garçons.
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Dans un monde toujours plus internationalisé, le prépuce est bien plus qu’un petit morceau de peau ou le sujet d’un épisode de « Friends ». C’est la frontière culturelle qui sépare les Amerloques des Rosbifs.
« Je ne suis pas sûr d’avoir déjà vu un pénis non-circoncis, dit Olivia, une New-Yorkaise de 27 ans. Si j’en voyais un en vrai aujourd’hui je ne le reconnaîtrais probablement pas ».
« Je n’en ai jamais vu », dit Chloe, une habitante de Brooklyn de 23 ans qui partage l’avis d’Olivia. Mais je ne pense pas que j’en voudrais à une personne parce qu’elle n’est pas circoncise. Cependant, il y aurait sans doute beaucoup à apprendre. »
En dépit de l’image de « prépuçophobe » des Américaines – renforcée par l’épisode notoire de « Sex And The City » dans lequel Charlotte oblige son petit ami à se faire circoncire en lui faisant honte parce qu’elle pense que sa bite ressemble à un shar-peï – toutes les femmes ne jugeront pas un mec qui a un prépuce. « Les personnes méchantes disent que ça les repousserait, dit Meera, 26 ans, qui vient aussi de Brooklyn, mais je pense qu’elles se la jouent un peu ».
Cela peut sembler incroyable aux yeux des Britanniques que leurs cousines Américaines n’aient jamais vu un pénis dans toute sa splendeur naturelle, mais on peut l’expliquer par les statistiques. Les Etats-Unis ont un des taux de circoncision les plus élevés avec environ 81% d’hommes circoncis, même si ce nombre est sur le déclin. C’est d’autant plus remarquable que, contrairement au Moyen-Orient ou à Israël, où la circoncision est prescrite par la croyance islamique ou juive, la plupart des Américains ne sont pas circoncis pour des raisons religieuses. Au Royaume-Uni – un endroit relativement plus sûr pour les prépuces – seulement 3,8% des garçons environ sont circoncis à l’âge de 15 ans, la plupart pour des raisons religieuses.
« La circoncision a fait son apparition dans la médecine américaine au milieu du 19e siècle, lorsque certains docteurs l’ont proposée comme moyen pour que les garçons arrêtent de se masturber » – Georganne Chapin, militante anti circoncision
« Même si les bénéfices pour la santé ne sont pas assez grands pour recommander une circoncision systématique pour tous les nouveau-nés, explique Douglas S. Diekema de l’Association Américaine des Pédiatres, les bénéfices sont suffisants pour justifier l’accès à la procédure pour les familles qui choisissent de le faire ». Il me dit qu’on a fait des rapprochements entre la circoncision et les taux réduits de transmission du VIH (elle est recommandée par l’OMS dans les zones à haut-risque de VIH) et d’herpès génital, et entre la circoncision et la réduction des risques de cancer du col de l’utérus et de la prostate.
Ses détracteurs mettent en avant l’argument qu’un prépuce en moins mène à la diminution des sensations lors d’un rapport sexuel (même si des preuves inverses existent aussi), et que c’est un processus douloureux et qui ne sert pas à grand chose à infliger à des enfants qui ne peuvent pas prendre la décision eux-mêmes. Le docteur Diekema entend les critiques. « Il est important que les parents reconnaissent que quand ils décident de circoncire leur enfant cela signifie que le garçon ne sera pas capable de prendre sa propre décision plus tard dans sa vie. Tandis que la plupart des hommes sont heureux de la décision prise par leurs parents, il y en a certains qui auraient aimé que leurs parents fassent un autre choix ».
Examiner les raisons pour lesquelles les Américains ont évolué vers la haine du prépuce, c’est difficile. Les avocats de la non circoncision affirment que c’est une pratique qui a émergé de la pudeur Victorienne à propos de la masturbation.

Photo Julien L. Balmer via Stocksy.
« La circoncision a fait son apparition dans la médecine américaine au milieu du 19e siècle, lorsque certains docteurs l’ont proposée comme moyen pour que les garçons arrêtent de se masturber », dit l’éminente militante anti circoncision (ou « intactiviste » de ses propres mots) Georganne Chapin. Elle dit que cette pseudo science a vite été renforcée par les points de vue sociaux élitistes. « Au début du 20e siècle, la circoncision était un symbole de classe, elle montrait que les familles en question avaient assez d’argent pour que leurs fils naissent à l’hôpital, vu que la circoncision était pratiquée par les docteurs ».
Alors pourquoi la Grande-Bretagne – qui n’est pas vraiment un modèle de société dénuée de classes – a-t-elle ressenti le besoin d’avoir plus de bite que ses voisins ? « Cela a disparu quand les Britanniques ont adopté des services de santé publics après le Seconde Guerre Mondiale, car ils ne payent plus pour des services médicaux non-nécessaires », dit Chapin. Comme la médecine américaine est privatisée, « la circoncision est juste une pratique de plus que les médecins peuvent facturer ».
Les institutions médicales américaines ne sont pas d’accord : l’Association Américaine des Pédiatres a dit à VICE qu’elle n’était jamais allée jusqu’à recommander la circoncision pour tous les nouveau-nés. À ce titre, les pédiatres ne la conseilleraient pas aux jeunes parents.
Certaines des personnes à qui j’ai parlé en vue de cet article ont avoué être dégoûtées par les prépuces. « Quand j’étais sur Grindr, les seuls mecs contre lesquels je faisais preuve de discrimination, c’étaient ceux avec des queues non-circoncises », dit Connor, 24 ans, de Los Angeles. « Musclé ou pas, viril ou jeune éphèbe, ses préférences sexuelles (au-dessus, en-dessous, versatile) – ça dépendait en fait de l’impression générale que dégageait le mec. Mais circoncis ou pas ? C’était non-négociable ».
Il explique que même si « autrefois, j’aurais n’importe quoi si ça provenait d’un mec sexy », il est désormais impératif que le mec soit circoncis. « Toutes les bites non circoncises que j’ai touchées sentaient le rat crevé. Les hommes disent qu’ils nettoient le dessous de leur prépuce mais ça ne se sent pas ».
« Je n’avais jamais eu affaire à un pénis non circoncis avant, j’étais inquiète de mal m’y prendre, et mes pires craintes sont devenues réalité » – Christina, 27 ans
Tout le monde n’est pas aussi anti-prépuce. « Je suis opposée à la circoncision, principalement parce que l’enfant ne peut pas donner son consentement et parce que les normes sociales ont fait que des générations d’Américains trouvent les prépuces dégoûtants », dit Maya, 27 ans. Elle conteste l’idée que les mecs non circoncis sentent mauvais. « J’ai entendu des gens dire que c’est plus propre sans le prépuce. Peut-être que ça l’est, mais tout comme ma bouche sera vide de caries si je m’enlève toutes les dents ».
Si vous n’avez jamais été avec un gars non circoncis, ça peut être utile de faire ses recherches – bien qu’il faille faire attention aux histoires d’horreur. Christina, 25 ans, a pété le frein d’un mec une fois, même si elle maintient que ce n’était pas de sa faute. « Je n’avais jamais été avec un homme non circoncis, donc j’ai cherché sur Google “comment faire l’amour avec une bite noncirconcise” au préalable. On fait l’amour un peu brutalement, et peu après, il m’a dit qu’il avait mal à la bite ». Elle me raconte que le lendemain matin il boudait et il l’accusait d’avoir cassé son pénis – plus précisément d’avoir déchiré son frein, le maigre bout de peau qui connecte le prépuce au pénis. « Je n’avais jamais eu affaire à un pénis non circoncis avant, j’étais inquiète de mal m’y prendre, explique-t-elle, et mes pires craintes sont devenues réalité ».
De nos jours, on condamne vite ceux qui se moquent des corps des autres en public, comme l’histoire de ce mannequin Playboy tellement outrée par la vue d’une femme nue avec de la cellulite dans sa salle de sport qu’elle en a posté une photo sur son Snapchat. Bien qu’il y ait encore du chemin à parcourir, nous allons vers une meilleure acceptation de tous les types et formes de corps – mais les bites sont l’exception charnue qui confirme la règle. Que ce soit pour gêner les hommes qui ont de petites bites ou pour railler les hommes aux micro-pénis en insinuant que Donald Trump est un des leurs, les bites – circoncises ou non – sont des cibles légitimes.
Peut-être que la solution est de reconnaître que les prépuces sont – après tout – sans importance et que les hommes devraient avoir le droit de décider ce qu’ils en font une fois adultes. Si ça vous dégoûte toujours, pourquoi ne pas les percevoir comme un petit manteau pour la bite, qui sert à lui tenir chaud ?
« Nous espérons que les gens arrêteront de circoncire des bébés et que les (jeunes) hommes seront autorisés à atteindre l’âge adulte avec la totalité de leurs parties génitales », dit Chapin en ajoutant que si les hommes décident ensuite de se faire circoncire, c’est leur choix. « Nous voulons que les gens comprennent qu’un prépuce c’est ok, c’est bien. C’est pour ça qu’il est là ».
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